neige ? H.S. !
Parfois, il suffit d’un peu de neige pour que votre téléviseur se détraque complètement.

(image : Amande In)

Tout part d’une bonne intention : s’aérer quelque temps à la montagne. Laisser la multitude à son bitume préféré, abandonner à regret le métro trop policé, trop puritain, ou pas assez -c’est selon -, s’exiler provisoirement en province. Vous avez carte blanche : je vous confie le contrôle du magnétoscope, les programmes quotidiens défilent et je n’enregistre plus, on éteint tout ça trente secondes, hop, mise en veille.

Sur les rails, direction une station, quelconque, quelque part là-haut, très haut, là où l’on dit qu’il règne un parfum poudreux d’éternité. Un brin pompeux. Et un rien trompeur : air pur, certes, mais pur temps aussi. A quoi bon s’élancer sur des pistes aux airs de prairie ? Aussi bien que trop de froid tue le goût, trop de soleil tue l’hiver. Ronger son frein sur le domaine ouvert, c’est déjà ça, c’est déjà beaucoup.

Et puis, la nouvelle tombe : demain, ça tombe. A gros flocons, à tombereaux, à foison. Bref, la moisson habituelle de la station. Et du coup, s’élancer à tombeau ouvert sur les pentes. Je range déjà mes lunettes de soleil, et prépare le masque. Ecran total ? Inutile. Biafine : 0, capuche : 1.

Mais… Il suffit d’un rien de neige pour que tout se détraque, définitivement.

J’ai du mal effectuer les réglages. Ridicule. Qu’est ce qui se passe, putain ? Je récapitule :

Organe de visée : hors circuit, informations erronées. Ecran saturé.

Qui téléguide quoi ? [palpitations et mouvements erratiques des membres]

Où est la télécommande ? [réponse inappropriée du système nerveux]

Qui donne les ordres ici ?

Mais non rien à faire. Tout se brouille. Ordres étranges, dérangement corporel. Encore un coup des hormones, ou quoi ?

Rotation de l’antenne ?

Vérification des câbles ?

Connections absurdes. Farfelues. En surnombre. Elles se précipitent, là le long des extrémités sensibles parcourent la surface le souffle court, persuadées de servir le système.

Boussole : hors service

Trop de courts circuits, c’est évident, je n’arrive plus à rien, tout ce blanc là qui s’effondre en pans entiers, même le ciel a déserté, ça devient gonflant. Bon, au moins, on peut se jeter dans la neige, s’en prendre plein la tronche, se vautrer dedans avec délectation, glisser à droite à gauche…

Mode girouette : activé

Mais ce matin, entrée directe dans le brouillard, non, collision directe avec le blizzard.

Visage bouffi par le givre. Bouffé par le gel. Le vent me lacère les yeux.

Seule une silhouette…

Une silhouette, seule, se dégage, une ombre sur la neige

Seule forme floue et rationnelle au milieu de la tourmente

Est-ce que déjà, hier, cette brune, là, m’aurait tapé dans l’œil ? Attends un peu… Check-off ?

Lentilles de visée : H.S.

Yeux rouges. Rougis. Alerte rouge. Peau en lambeaux, chair en alerte, chair électrique, nerfs à vifs. Je ne vois plus qu’elle

Alors dévaler les pistes

Alors dévaler toute cette surface immaculée à toute volée ; voler un peu de silence à la montagne et m’en enivrer pendant qu’il en est encore temps

Remontée mécanique

Robot mode : ON

Oui monsieur, quel forfait s’il vous plaît ?

Oublier que j’existe, s’il vous plaît, merci bien. Oublier le forfait, oublier ma forfaiture, ma forfanterie, toutes ces conneries. D’ailleurs, tout est blanc : je n’y vois rien. De toute façon, je n’entends rien à vos couleurs, vertes, bleues, rouges, je ne prends que les pistes noires, oui oui.

Code d’autorisation ? [ 0 # 4 ]

Flocons en pagaille devant le regard, absent.

Radar mode : activated

descendre, en flèche de préférence. Tromper les bosses, manœuvre d’évitement, éviter l’ombre, éviter le gouffre…

Plus vite. Se rendre service, se rendre hors-service, vite. Tenter le hors-piste…

Et puis, on rentre, on abandonne cette avalanche de poncifs vite fait bien fait, l’habitude aidant. On prie, un peu. On rit, beaucoup. Allez, on rentre, coco, c’est fini.


Et puis, on croise la brune, là, à la fac. Merde.

by Vincent Granier )

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