démasqués
pour éviter tout transport individuel dans les transports en commun...

(image : Amande In)

Toujours avancer masqué. Obligé. Voire normal. C'est beaucoup plus simple que d'être nu, là, devant tout le monde. Vulnérable, comme un vermisseau disséqué sous tous les angles ; un morceau de verre disloqué sous tous ces talons qui résonnent du matin au soir là dans les couloirs sombres aux murs carrelés de blanc.
Heures de pointe : pas un mot. Juste les pas. Nombreux, innombrables. Pas un de semblable.
Martiale mélopée, berceuse monotone.
Mais le plus dur reste à faire, une fois dans les entrailles de la bête :
Impossible de ne pas vouloir composer avec l'atmosphère environnante. Tout contrôler. Se donner un mal fou, tout ça pour être discret sans en avoir l'air, finalement se fondre dans le commun du quotidien. Et sans disparaître complètement. Aux yeux de la multitude, pourtant, on s'offre de glace : surfaces lisses face au regard transparent de la foule. Alors, ébaucher à gros traits un visage serein. Ne rien laisser transparaître.
Choisir la ligne de fuite et s'engouffrer dans la bouche du Métro, affronter les anonymes impavides et retors. Et composer. Tout contrôler. Ses moindres gestes. Eviter de laisser traîner ses yeux sur les baies vitrées du wagon, l'autre s'accroche, en face, je crois bien. Repli. D'autres, plus entraînés, tentent un sommeil de pacotille. Tout doit glisser, c'est primordial.
Impérieuse nécessité. On peut dévisager l'autre pendant des siècles, jamais l'on ne parviendrait à le démasquer. A quoi bon risquer de l'être, d'ailleurs ? Tous ces efforts, toute cette peine en vain, quel ravissement !
En vérité, rien ne vaut de tricher sur la perspective, effacer les boursouflures, souffler les traces une par une qui mènent à soi, en bref : fermer la porte
Sirène. Départ. Un trajet de plus, un masque de plus.

by Vincent Granier )

( back to AIE >>