Je ne me souviens plus.

(image : Amande In)

L’image est un peu floue, les fleurs ont fanées, je ne me souviens plus très bien, elle a vieillie depuis, ses contours se sont ramollis, doucement avec le temps, son odeur a changé.

Le parfum a viré depuis.

Je calmais ma peur dans ses bras, elle chantait toujours les mêmes chansons. Une qui me faisait peur, je ne me souviens plus des paroles. Et l’autre très belle qui est restée :
« dors, dors, bel ange d’amour

jusqu’au tombeau je te serai fidèle

dors, dors, bel ange d’amour,

jusqu’au tombeau je t’aimerai toujours… »

Elle caressait ma tête, jusqu’à ce que le sommeil vienne m’emporter, elle me protégeait du vieux Lustucru.
Moi je tremblais à l’idée de ses chaînes et de sa grosse voie. Aujourd’hui, Lustucru n’évoque plus rien pour les gosses, pour moi s’était l’homme aux grosses chaînes qui venait emporter les enfants pour les manger.
Mon oncle avait même fait son portrait lors de leur rencontre un soir.
Le dessin plus vrai que nature était scotché sur un mur de la cuisine, et après le dîner, quand il fallait filer au pieux, on me montrait du doigt l’homme au visage crochu et on me signifiait la menace avec sérieux.

Longtemps j’ai cru finir dévorer.

Il y avait aussi deux cauchemars qui revenaient souvent.
Le premier qui a disparut par la suite avec les événements de la vie ; c’était ma famille, mon papa, ma maman, moi-même, enlevés pas des méchants. Ils voulaient nous manger, enfin je me réveillait en pleurs, avec juste l’image de mes parents en conflits, parce que chacun voulaient être dévoré en premier pour me sauver, puis je ne me souviens plus du reste, c'est un peu flou.
Ensuite le deuxième, je glissais sous un arbre, un sapin, celui de noël 85, on l’avait planté dans le jardin, il avait poussé depuis et je m’accrochais à son tronc avec désespoir, glissant dans la terre, en boule, pour fuir la grosse main qui me tirait, elle ne m’a jamais attrapée vraiment, j’ai toujours passé mon temps à la fuir, en roulant mon corps dans l’herbe humide et dans la terre molle.

Maintenant sa voix tremble dans le combiné du téléphone.
Je raccroche avec un pincement au cœur et toujours plus de distance quand elle m’appelle pourtant.
Impossible de lui dire, que j’ai peur, de la voir, elle, de la voir partir, alors que moi, mon premier geste aura été de fuir, très loin, très vite, loin de son odeur de vieille personne, de ses recommandations, des ses inquiétudes protectrices.
Je glisse aussi parfois dans la terre, mais je ne tombe plus, je m’accroche en haut de l’arbre, il m’aide à garder l’équilibre, j’ai toujours un peu peur aussi.

by Amande In )

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